Politique de non-accueil : l’Europe toujours plus forteresse
Depuis plusieurs mois, l’Union européenne et ses États membres redoublent d’efforts pour accélérer la mise en œuvre du Pacte sur la migration et l’asile (cf. lettre d’info de mars 2024) et durcir la législation européenne. L’objectif est clair : accueillir toujours moins, externaliser toujours plus.

Dernièrement, la Commission européenne a proposé plusieurs mesures inquiétantes : modification du règlement sur la procédure d’asile, révision de la directive « retour » — qui encadre les expulsions des personnes en situation irrégulière ou des demandeur·ses d’asile débouté·es — et application anticipée de dispositions clés du Pacte.
Parmi elles, plusieurs points sont inquiétants :
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Redéfinition de la notion de « pays de retour » : jusqu’à présent, une personne pouvait être expulsée vers son pays d’origine, un pays de transit disposant d’un accord de réadmission, ou tout autre pays vers lequel elle acceptait d’être renvoyée. Le consentement était central. Or, la nouvelle proposition permettrait d’expulser des exilé·es vers des pays où ils n’ont jamais mis les pieds, dont ils ne connaissent rien, et sans leur consentement – sous prétexte que ces pays pourraient examiner leur demande d’asile et leur offrir « une protection ».
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Création d’une liste européenne de « pays tiers sûrs » pour l’étude des demandes d’asile : ce concept permet de transférer les demandeur·ses d’asile vers un pays tiers considéré comme « sûr », au lieu de traiter leur demande dans le pays où elle a été déposée. L’Union européenne prévoit d’établir une liste commune de pays vers lesquels les personnes en quête d’asile pourraient être transférées pour que leur demande y soit instruite.
- Harmonisation des listes de « pays d’origine sûrs » : jusqu’ici, chaque État membre possédait sa propre liste nationale, permettant un traitement accéléré des demandes en considérant, de manière contestable, que les ressortissant.es de ces pays ne nécessitent pas de protection internationale. Dorénavant, une liste unique et contraignante s’imposera à tous les États membres, sous couvert d’harmonisation.
Actuellement, cette liste comprend : le Kosovo, le Bangladesh, la Colombie, l’Égypte, l’Inde, le Maroc, la Tunisie, ainsi que les pays candidats à l’UE : Albanie, Bosnie-Herzégovine, Géorgie, Macédoine du Nord, Moldavie, Monténégro, Serbie, Turquie et Ukraine. Pourtant, nombre d’entre eux sont régulièrement pointés du doigt pour leurs violations graves des droits humains – ce qui justifierait, au contraire, une protection internationale. Plusieurs associations alertent déjà sur le danger que représente cette classification arbitraire : elle empêchera de nombreuses personnes vulnérables d’accéder à une quelconque protection.
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Application anticipée de mesures clés du Pacte : désormais, les États membres pourront mettre en œuvre des procédures accélérées pour toute personne venant d’un pays où le taux moyen de protection accordée dans l’UE est inférieur ou égal à 20 %. La procédure accélérée étant une étude superficielle de la demande d’asile qui aboutira majoritairement à un rejet puis une expulsion.
Ces évolutions législatives, en apparence techniques, traduisent un tournant grave : elles marquent l’abandon progressif de l’esprit même du droit d’asile en Europe. Pour rappel la convention de Genève établit que tout individu a le droit de demander l’asile s’il est persécuté en raison de sa race, sa religion, sa nationalité, son appartenance à un certain groupe social ou ses opinions politiques. Elle impose aux États signataires de protéger les réfugié.es et de ne pas les refouler vers un pays où leur vie ou leur liberté seraient menacées.
Toutes ces réformes ne sont encore qu’en construction mais il est très probable que le Parlement européen et le Conseil les valides prochainement.
Emmaüs Europe, suit ces évolutions de près en collaboration avec ces partenaires Migreurop et ECRE. Nous serons d’ailleurs présents au mois de juin à la Conférence générale annuelle d’ECRE pour échanger sur tout cela et travaillons actuellement sur le plan stratégique de plaidoyer d’ECRE qui sera mis en place pour les quatre prochaines années.
