La traçabilité : un atout stratégique pour les initiatives d’Emmaüs ?
De plus en plus en Europe, les politiques visent à instaurer un système de responsabilité élargie des producteurs (REP) pour la gestion des déchets et le réemploi dans divers secteurs tels que l’électronique, le textile et l’ameublement. En pratique, cela signifie que les fabricants de nouveaux produits deviennent financièrement responsables de la gestion des produits en fin de vie. Dans ce cadre, nos groupes Emmaüs peuvent participer et bénéficier de financements ou de facilités pour nos actions grâce à la mise en place de la traçabilité.
Pour en savoir plus, nous avons rencontré Elsa Delouche, qui porte la mission Traçabilité et Réemploi au sein d’Emmaüs France. Elsa accompagne les groupes vers la mise en place d’une traçabilité des dons.
Peux-tu nous dire ce qu’est la traçabilité et sur quels types de « produits » elle s’applique ?
Les définitions sont variées, celle que j’utilise et qui semble faire consensus est la suivante : une organisation et des outils qui permettent d’obtenir des données sur l’activité, un processus performant (simple, accessible et stable).
Pour certaines filières les données sont attendues par les éco-organismes*, et permettent d’accéder à différentes opportunités (soutiens financiers, reprise gratuite des déchets, accès à des gisements). En France, et bientôt dans tous les pays d’Europe cela concerne les meubles et éléments d’ameublement, les jeux-jouets, les articles de bricolage et de jardin, les appareils électroménagers, les articles de sport et loisirs, le textile-linge-chaussures.
* C’est ainsi que sont appelées en France – dans le cadre du principe du « pollueur-payeur » – les organisations financées par les producteurs qui s’occupent de gérer la fin de vie des équipements qu’ils mettent sur le marché.
A quoi sert la traçabilité pour les groupes Emmaüs ?
Je vois la traçabilité comme une opportunité pour les groupes et le Mouvement :
- Elle invite à améliorer les conditions de travail en questionnant les outils utilisés, les conditions de sécurité et l’ergonomie des postes de travail.
- Elle permet de diversifier les tâches des personnes (exemple : utiliser un matériel de pesée).
- Elle favorise la montée en compétence des personnes (exemple : maîtriser un logiciel).
- Elle contribue au pilotage de l’activité et à la prise de décision en apportant des données objectives et fiables.
- Elle permet de faire valoir son activité sur le terrain auprès des acteurs et partenaires externes, de s’assurer qu’ils visualisent et prennent conscience du volume de dons reçus et traités.
- Elle affirme la place occupée par Emmaüs dans l’activité de réemploi à travers des données quantitatives fiables, d’alimenter le plaidoyer porté par Emmaüs France et Emmaüs Europe.
Comment et pourquoi la traçabilité s’est mise en place dans nos groupes ? Comment les groupes la pratiquent et quelle charge est-ce que ça représente pour eux ?
La Fédération Emmaüs France défend la liberté des groupes de mettre en place la traçabilité ou non, elle se donne pour mission de sensibiliser les groupes de sorte qu’ils fassent un choix en connaissance de cause (les bénéfices ou non dont ils pourraient profiter). De plus, elle encourage chaque groupe à définir sa méthode, ne prône pas une méthode unique. De ce fait, on observe aujourd’hui des pratiques très variées :
- Sur le choix des filières suivies : suivre toutes les filières ou en sélectionner quelques-unes (souvent en fonction du rapport effort-gain).
- Sur la méthode : peser ? Compter ? En associant les 2 selon les filières ?
- Sur les outils : support papier ? Logiciel ? En associant les 2 ?
La traçabilité n’engendre pas nécessairement une charge de travail supplémentaire, tout dépend de la méthode et des outils choisis par le groupe. De même, il ne s’agit pas de faire de nouvelles tâches, de faire évoluer nos activités traditionnelles de réemploi. La visée est de trouver une organisation pour recueillir des données sur les étapes clés de notre activité, de collecter au cours de l’activité, puis de trouver les outils qui permettent une exploitation facilitée des données.
Dans notre groupe, nous avons toujours considéré qu’il était très important de pouvoir fournir des données fiables sur ce que nous faisons avec les déchets que nous traitons. Nous considérons qu’il s’agit d’une obligation que nous avons envers le public et les entités publiques et privées qui nous font confiance pour la collecte et la gestion des déchets. Les obligations d’assurer la traçabilité des déchets que nous gérons sont de plus en plus nombreuses. Les appels d’offres lancés par les administrations publiques pour la collecte des textiles nous y obligent et la législation actuelle fait progresser les obligations des gestionnaires de déchets.
Depuis quatre ans, nous traitons électroniquement les documents environnementaux avec les administrations publiques. Aujourd’hui, un contrat de traitement doit être signé avec l’entité qui génère les déchets pour pouvoir les collecter avec nos camions et nous devons avoir un document d’identification dans le véhicule de collecte.
En outre, dans le cas des déchets dangereux, nous devons traiter une notification de transport pour chaque type de déchets à transporter (chaque code nécessite une notification de transport différente). Cette notification nous permet d’établir les documents à emporter par le camion transportant les déchets dangereux.
Les exigences de la réglementation européenne et la présence des SCRAP (ferraille) font que cette question sera essentielle pour répondre aux besoins des administrations publiques et des systèmes collectifs ainsi qu’à la demande d’information du public.
* C’est ainsi que sont appelées en France – dans le cadre du principe du « pollueur-payeur » – les organisations financées par les producteurs qui s’occupent de gérer la fin de vie des équipements qu’ils mettent sur le marché.
La traçabilité à Emmaüs Défi (France). Crédit : Emmaüs Europe.